Les milieux urbains sont des environnements complexes où se déroulent des interactions imbriquées entre les éléments protecteurs et perturbateurs de la vie urbaine. Ceux-ci affectent à la fois l'émergence et la guérison de la psychose. De nombreux usagers ont tendance à éviter les centres-villes après un premier épisode psychotique, ce qui entrave leur rétablissement fonctionnel et/ou personnel. Il y a donc un besoin de changement transformateur dans les soins axés sur le rétablissement qui appelle au partenariat avec les patients et les pairs praticiens pour élaborer des traitements efficaces et les promouvoir dans le milieu où les patients évoluent. Or, à notre connaissance, il n'existe pas encore de collaborations multipartites autour de programmes spécifiques à la ville axés sur le rétablissement pour les personnes atteintes de psychose.
Cette session est composée de trois parties. Tout d'abord, nous commencerons par un aperçu de la littérature récente concernant le milieu urbain et la psychose, puis nous exposerons les résultats d'une étude suisse qui illustre la complexité des interactions ville/psychose appelant à mettre sur pied des interventions multi-niveaux et passer d'un modèle de vulnérabilité à un modèle de protection. Dans un deuxième temps, nous décrirons notre projet transdisciplinaire en cours visant la création de stratégies thérapeutiques, regroupées sous le terme générique de remédiation urbaine. Dans la troisième et dernière partie du panel, nous décrirons notre première tentative de cartographie de l'espace urbain vécu par les usagers et comment la prise en compte de la dimension spatiale de la psychose pourrait les aider à se rétablir en ville.
15:45 heure
Ville et psychose : quels liens ?
Prof. Philippe Conus | CHUV | Switzerland
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Prof. Philippe Conus | CHUV | Switzerland
Contexte : On sait de longue date que le fait de vivre en milieu urbain pendant son enfance est un facteur de risque de développement ultérieur d’un trouble psychotique. Cette relation dose-effet est bien établie mais mal expliquée par le concept vague de « stress urbain ». Dans le cadre d’un projet FNS, nous avons exploré quel est le vécu des patients en milieu urbain après un premier épisode de psychose.
Méthode : Combinaison de revue de littérature, d’exploration par immersion vidéo-filmée avec des patients et d’un questionnaire proposé à 300 patients et 220 étudiants en médecine.
Résultats : Le stress éprouvé par les patients est généré par 4 facteurs principaux : la densité de personnes ou bâtiments, la surcharge sensorielle, les obstacles à la mobilité et les confrontations sociales. La gestion de ce stress passe par trois stratégies principales : programmation des trajectoires, création de bulles d’isolement et création d’atmosphères de confort. L’émergence de la psychose induit un évitement de la ville, lié avant tout à la réticence aux contacts interpersonnels et à l’évitement de stimuli désagréables, ainsi qu’une diminution de la perception positive des éléments de répit (anhédonie urbaine).
Conclusion : L’émergence de la psychose induit une perte d’accès à la ville alors que ce milieu, s’il est générateur de stress, est également un lieu de ressources dont les patients sont ainsi privés. Il semble donc indiqué de développer des stratégies thérapeutiques, urbanistiques et sociétales qui permettent d’adapter les villes aux besoins des patients souffrant de troubles psychotiques.
16:00 heure
REMÉDIATION URBAINE : COMMENT AIDER LES PATIENTS SOUFFRANT DE PSYCHOSE A FAIRE LEUR PLACE EN VILLE ?
Dr Lilit Abrahamyan Empson | CHUV | Switzerland
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Dr Lilit Abrahamyan Empson | CHUV | Switzerland
La recherche neurobiologique semble suggérer la nécessité d’un changement de paradigme d’un modèle de vulnérabilité à un modèle de protection lorsqu’il s’agit d’étudier les liens entre la ville et la psychose. La grande sensibilité des patients psychotiques permet d’identifier des facteurs de stress commun à la population générale, tout en mettant en exergue les meilleures capacités de résilience de celle-ci. Toutefois, les facteurs de protections et les différentes ressources que le milieu urbain représente pour les parcours de rétablissement restent pour l’heure peu décrits.
Matérielle, affectives ou sociétales, ces ressources influencent grandement les trajectoires de soins. Toutefois, dans les pratiques cliniques il n’est pas toujours aisé de bien identifier les ressources au rétablissement propre à chacun et de les situer dans l’environnement exact ou ces parcours de rétablissement se produisent. Le projet de recherche Remédiation Urbaine propose de construire une stratégie de soins multiaxes qui met l’accès aux ressources du milieu urbain au cœur de l’accompagnement thérapeutique visant le rétablissement.
À travers une série d'approches participatives innovantes (cartographie participative, design thinking), ce projet de recherche réunira différents acteurs (patients, pairs praticiens, acteurs communautaires et pouvoirs publics) pour assurer la meilleure adéquation entre les besoins des patients et les nouvelles stratégies thérapeutiques. L'introduction d'une méthodologie Living Lab pour expérimenter ces stratégies sur une zone limitée dans un cadre réel permettra de tirer des conclusions avant de les transposer à l'échelle de la ville et renseigner les politiques de soins.
Cette partie de la session décrira en détail les approches nommées, de même que différentes interventions envisagées (accompagnement thérapeutique individuel, aménagements urbanistiques, campagnes et actions sociétales) pour répondre à ces défis de santé publique. Pour finir, nous reviendrons sur les différents outils digitaux qui pourraient s’avérer intéressants dans une telle démarche, de même que sur les possibles collaborations avec les plateformes internationales de santé mentale urbaine.
16:15 heure
Géographies personnelles : de la cartographie des espaces urbains au processus thérapeutique
Dr. Philipp S. Baumann | Cabinet privé | Switzerland
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Dr. Philipp S. Baumann | Cabinet privé | Switzerland
Il y a un intérêt croissant pour les interactions entre le milieu urbain et le développement des troubles psychotiques. En effet, il est bien établi que grandir dans un environnement urbain constitue un facteur de risque pour le développement d’un trouble psychotique. Il a aussi été plus récemment démontré que les personnes souffrant de troubles psychotiques tendent à éviter la ville. Ces observations nous amènent à réfléchir aux éléments défavorables et favorables aux patients évoluant en milieu urbain, afin de diminuer le risque de décompensation et d’améliorer le rétablissement.
La première étape consiste à décrire, de façon détaillée, l’environnement des personnes vivant en ville, d’un point de vue à la fois affectif et spatial. Pour ce faire, nous allons d’abord aborder la notion de lieu (place) et ses caractéristiques qui pourraient influencer le rétablissement des personnes souffrant de psychose. La notion d’attachement au lieu paraît ici centrale, car elle permet de représenter le lien affectif qui se crée entre une personne et un lieu spécifique au travers des interactions répétées au cours du temps. Une certaine forme d’attachement au lieu semble nécessaire au bien-être et au sentiment de sécurité au monde.
Influencés par le courant systémique (objets flottants), nous proposerons deux outils thérapeutiques, « le diagramme d’attachement aux lieux » et le « réseau espace-vie » pour aider les patients à repérer les lieux significatifs pour eux dans la ville. Le premier, a été développé pour capter le lien émotionnel aux lieux et le second la dimension spatiale.
Au travers d’une brève revue de la littérature, nous explorerons aussi comment différentes facettes des troubles psychotiques telles que des facteurs de risques épidémiologiques (mobilité résidentielle, migration, vie urbaine, traumatismes), l’attachement précoce aux lieux et l’expérience spatiale anormale (abnormal space experience) participent à forger l’expérience des lieux et de l’espace dans la psychose.
Bien que devant encore être validées, ces nouvelles approches psychothérapeutiques pourraient aider les patients souffrant de psychose à transformer les espaces urbains anonymes, menaçants et souvent évités en lieux plus familiers, rassurants et finalement investis, car perçus comme source de nouvelles opportunités ("Turn space into place").